Les liens d'homme à homme (II)
Deux
procédures mérovingiennes créaient des liens de dépendance entre des hommes libres :
l’obnoxiatio et la commendatio.
L’obnoxiatio
Il
s’agissait de la soumission volontaire et spontanée de la personne et des biens
d’un ingénu (homme libre) au service d’un maître, qu’il soit religieux ou
laïc ; soumission qui entraînait la perte de la condition d’homme libre.
Cette procédure, par ailleurs mal connue car nous sommes très peu renseigné à son sujet, n’engendrait pas d’obligations de services d’ordre militaire,
mais attachait le demandeur à une terre. Dans une société où l’élément
monétaire est très réduit, c’était un moyen d’effectuer une donation à un établissement
ecclésiastique tout en faisant acte de pénitence, avec l’espérance de gagner le
paradis. C’était encore une façon de rembourser ses dettes et de
« revendre » sa créance à un plus puisant qui se
« remboursera » à long terme par le travail et les revenus de la
terre du soumis. L’obnoxiatio était constatée par un acte écrit (carta) et par
une procédure symbolique manifestant le changement d’état du protégé. A la
différence des hommes libres qui pressés par la misère, vendaient leur liberté
pour une somme d'argent et se retrouvaient en état de servitude définitive, le
titulaire d’une obnoxiatio avait théoriquement la faculté de se racheter en
remboursant son prix de vente rehaussé d’une certaine proportion. Cependant,
dans les faits, la procédure d’obnoxiatio désignera indifféremment tout abandon
volontaire qu’il soit temporaire ou définitif, du statut d’ingénu. La plus
ancienne source écrite décrivant une procédure d’obnoxiatio date du VIIè
siècle.
Le
leudesamio
Le
leudesamio est la prestation
individuelle d’un serment de fidélité qu’un homme libre, c’est-à-dire un guerrier
armé portait au souverain (Il est lui-même issu du serment d’allégeance -leudesamium
avec lequel il va être confondu- prêté à l’empereur romain par les
légionnaires). Ce serment concrétise un lien personnel, unilatéral et sans
contrepartie qui unit le Roi franc (et plus tard l’empereur carolingien) avec
son sujet. Il n’y est pas question de contrat synallagmatique ou d’obligations
contractuelles. L'homme libre ayant prononcé le leudesanium est appelé leute ou leude (« fidèle guerrier »).
Le
commendatio
De
véritables contrats apparaissent aux termes desquels les futurs protégés
(commendatus ou vassus) se recommandaient à leur protecteur par le biais de la
commendatio. Le protecteur, le seigneur (senior, signor, dominus…) est toujours
un homme libre, tout comme le recommandé qui doit pouvoir disposer librement de
sa personne pour se placer sous le mundium (puissance) et la mainbour
(protection) d’un puissant, tout en restant libre. Le commendatio est un
contrat synallagmatique, personnel et viager qui engendre des obligations
bilatérales prenant fin à la mort d’un des partenaires. De la part du
recommandé, il implique soumission et respect (obsequium) au maître, ainsi
qu’assistance, en particulier dans le domaine militaire (servicium). De son
coté, le seigneur doit d’abord l’assistance et la protection à celui qui s’est
recommandé. L’entretien vient ensuite : il admet éventuellement son vassus
à sa table et lui offre un chasement, et/ou participe à l’entretien de son
équipement militaire. Une compensation était prévue en cas de violation de
l’une des parties. Il n’y est pas encore question d’hommage et de
beneficium : ces concepts n’apparaîtront pas avant le VIIIè siècle. L’idée
dominante est d’assurer la sécurité du recommandé et la puissance du seigneur.
Face à un pouvoir faible, voire incapable de garantir la sécurité des
individus, les réseaux de dépendance se multiplient.
Lorsque
qu’un élément de nature foncière viendra renforcer une fidélité et des
obligations réciproques entre deux hommes libres, et que ce processus prendra un caractère coutumier, la féodalité pourra se mettre
naturellement en place, forte de ces précédents historiques.
Sources :
notes personnelles du cours d’histoire politique médiévale de M. GIULIATO
Gérard, maître de conférences en histoire médiévale à l’Université de Nancy2,